The Hate U give est un roman qui a fait tellement de bruit à sa sortie que même moi, je l'ai entendu. C'est dire. En fait c'est très bête: il s'est retrouvé en TT sur Twitter et j'ai été curieuse. Un site a tweeté un lien où je pouvais lire les premiers chapitres en ligne et j'ai compris pourquoi. Si ce chef-d’œuvre ne devient pas un best-seller, puis un classique, je ne sais pas quel livre le deviendra. Sérieusement, si vous ne devez lire qu'un livre cette année, cette décennie, même, lisez The Hate U Give. L'histoire s'inspire du mouvement Black Lives Matter, une organisation qui combat le racisme et dont on a beaucoup entendu parler quand des officiers de police américains ont tiré sur des suspects noirs désarmés. Le plus récent qui me vient à l'esprit est Philando Castile, abattu par un policier dans sa voiture alors qu'il allait lui présenter sa carte d'identité. Ce qui s'est passé après les coups de feu a été filmé par sa petite amie, qui était passagère, la vidéo a beaucoup tourné sur le net et pour (apparemment) la première fois, l'officier de police a été poursuivi pour meurtre. Du coup, je reconnais que j'avais un peu peur que The Hate U Give soit un livre racoleur écrit pour surfer sur le buzz mais on en est loin. Angie Thomas a bossé son sujet et ça me fait vraiment très plaisir de voir qu'elle l'a pris au sérieux. (MAJ Juin 2017: L'officier de police qui a tiré sur Philando Castile a été acquitté de toutes les charges qui pesaient contre lui. Je tiens quand même à mentionner la création de la Philando Castile Relief Foundation, qui soutient les victimes de violences policières, parce que Starr en aurait eu bien besoin et parce que ça me parait important.) Le livre parle donc des conséquences d'une de ces tueries pour la jeune fille qui a assisté à la scène et la communauté dont le jeune homme tué faisait partie. Les réactions des amis, de la famille, du quartier, de ceux qui n'étaient pas concernés, ... En suivant le point de vue de Starr, on découvre sa vie, sa famille, ses amis, son environnement et tout ce à quoi elle est confrontée au quotidien. Mais en étant aussi le témoin, elle nous plonge directement dans le vif du sujet. On n'est plus spectateurs, internautes qui nous émouvons d'un hashtag ou d'une vidéo choc, on est directement concernés. Et de cette place au cœur des évènements, on voit et on comprend mieux tout ce qui se passe autour. Première chose qui m'a marquée: l'écriture. J'ai du mal à croire que c'est le premier roman d'Angie Thomas. Le style est percutant, avec des touches d'humour très fin par-ci et des réflexions qui font mouche par-là. C'est incroyablement bien écrit. J'ai eu un peu de mal avec l'argot, vu que je ne le pratique pas, mais il est réaliste. Surtout: tout le livre sonne juste. Vrai. Parce que c'est sincère. Et c'est magnifique. Tout a du sens, c'est poignant, c'est cohérent, c'est réaliste, c'est tout ce que j'espérais que ce soit, et plus encore. Angie Thomas a une plume extraordinaire. Et c'est parti pour les spoilers. Les personnages sont tous parfaitement écrits. Starr, ses parents, ses amis, ... J'adore les parents de Starr et j'ai été très touchée par DeVante, mais aussi, étonnamment, par Iesha, à la fin. Et les grand-mères ont du répondant, à Garden Heights! Je suis très impressionnée par leur sass, c'était magnifique à lire. On a bien quelques stéréotypes, comme King puis Hailey, mais je pardonne facilement parce qu'ils n'étaient que des personnages de fond. Quelque part, j'ai l'impression que leur personnalité a été sciemment écrite vague parce qu'ils représentent un groupe de personnes, King les chefs de gang qui n'ont que ça dans leur vie et Hailey les ados blancs qui ne se rendent même pas compte de leurs propres préjugés. Pour laisser la place au lecteur de combler les vides en les rapprochant de quelqu'un qu'il connait et qu'il se dise "ah mais je connais quelqu'un comme ça". C'était risqué, personnellement, je ne connais aucun chef de gang donc difficile de trouver quelqu'un à qui King me ferait penser, mais des Haileys, j'en ai connu pas mal et je pense que c'est le cas de beaucoup de monde. C'est aussi une plongée dans le quotidien de Starr et de son quartier et c'est extrêmement instructif. J'ai vu comment le "racisme ordinaire" ( = ce que beaucoup de blancs ne considèrent plus comme raciste) était perçu de l'autre côté de la barrière et j'ai énormément appris des personnages que j'ai croisés. C'est tellement réel et surtout, ça a profondément changé la manière dont Starr se voyait elle-même. Elle s'est acceptée elle-même au risque de perdre ses quelques amis, qui, à l'exception de Hailey, sont tous restés à ses côtés et l'ont soutenue. Et grâce à eux, on a des dialogues pleins de sagesse, comme celle sur les prénoms courants ou les disputes avec Hailey. Starr était une jeune fille relativement timide et effacée au début du livre, mais dès le moment où elle a dit "non", elle a refusé qu'on l'ignore. Et c'est ça, le cheminement qu'elle a fait. De la jeune fille qui avait presque honte d'être une afro-américaine dans un lycée de blancs et d'être une élève d'un lycée de blancs dans un quartier afro-américain, elle est devenue cette jeune femme fière qui assume son "air en colère" et son petit ami blanc. Elle ne s'effacera plus, elle ne se cachera plus, elle ne PEUT plus le faire. C'est donc aussi l'histoire d'une ado qui se cherchait et qui s'est trouvée. La déposition (ou plutôt l'interrogatoire) de Starr était odieux. Certes, ils ont entendu sa version des faits, mais les questions qu'ils ont posées? Sa mère a entièrement raison, elles n'avaient rien à voir. On se fiche de savoir si Khalil vendait de la drogue ou s'il était dans un gang. Un officier de police lui a tiré dans le dos alors qu'il ne présentait aucune menace, point. Chercher à justifier un acte pareil revient à dire d'une victime de viol que, OK, elle a été violée, mais est-ce qu'elle portait une mini-jupe? Est-ce qu'elle avait bu? Est-ce qu'elle trainait dehors à 3h du matin? Mais si oui, ça change quoi? En aucun cas ça ne rend un acte de violence plus acceptable. Et tirer dans le dos, même dans l'éventualité où on pense que la personne est armée ("a hairbrush is not a gun"), ce n'est pas de la légitime défense. En parlant de la police, je reconnais que j'aurais aimé la voir plus nuancée. Comprenez-moi bien, la police dans son ensemble n'est pas diabolisée, mais l'officier 115 était la seule autre personne impliquée dans l'altercation et je trouve dommage qu'il n'apparaisse jamais. Même quand il faut parler à la télé, c'est son père qui y va. On n'a ni sa version ni ses excuses, ni même son nom, il me semble, ce que je trouve dommage. Je comprends que le livre se concentrait vraiment sur l'impact sur la vie de Starr, mais à part l'Oncle Carlos (qui est vite suspendu) et les quelques policiers qui apparaissent dans une scène chacun, on n'a aucune représentation concrète. Pas d'individualité. Et si je me passe bien de l'opinion détestable des policiers qui cherchent à sauver leur collègue, celle d'un officier 115 qui se rend compte de sa bavure m'aurait beaucoup intéressée. J'aurais aimé qu'on n'étouffe pas sa voix, surtout quand le livre se termine sur Starr qui promet qu'on n'étouffera plus jamais la sienne. Les conséquences psychologiques sur Starr, notamment l'impact sur ses relations, sont finement faites. Son stress face aux officiers de police après la mort de Khalil était palpable, sa peur et sa détresse dans la scène où ils interviennent entre son père et Mr Lewis m'ont prise à la gorge. Pour moi, c'est la scène la plus intense du livre, j'étais terrifiée. Je n'ai jamais vraiment eu affaire à la police, donc je n'ai aucune idée de ce que ça doit être d'avoir aussi peur de ceux qui sont censés me protéger. Je comprends mieux l'engrenage qui mène au trafic de drogues et aux gangs. Quand la société censée t'aider te met plus bas que terre et quand tu crains pour ta vie chaque fois que tu croisent ceux qui devraient te protéger, vers qui tu peux te tourner? Je ne pensais pas que Hailey était vraiment raciste, au début. Je pensais qu'elle se contentait d'enfoncer sa tête dans le sable pour ignorer ce qui la mettait mal à l'aise et qu'elle était du genre à juger tout le monde (ce qui n'est déjà pas très reluisant). Mais je pense qu'elle n'a aucune idée d'à quel point les stéréotypes dont elle rit sont blessants, et même dangereux vu ce qui est arrivé à Khalil. Elle est raciste sans même s'en rendre compte. Elle-même est le stéréotype de la jeune fille blanche riche privilégiée réfractaire à toute idée qui ne va pas dans son sens. C'est drôle, quand on y pense. Le stéréotype qui ne jure que par les stéréotypes. C'est d'une ironie un peu cruelle, quelque part. Je ne sais pas si elle a été écrite comme ça exprès pour le paradoxe mais si ce n'est pas le cas, c'est un effet secondaire intéressant. J'ai ri (beaucoup), j'ai pleuré (au moins autant), j'ai retenu mon souffle, j'ai soupiré de soulagement, j'ai hurlé de colère, j'ai eu mal au cœur, je suis passée par toutes les émotions possibles avec ce roman et c'était génial. The Hate U Give frappe fort et je suis persuadée qu'on n'a pas fini d'en entendre parler. Pour conclure: merci. Merci à Angie Thomas de m'avoir raconté ce qui se passe de l'autre côté du hashtag et merci d'avoir bossé comme une dingue pour que le message passe correctement. J'ai hâte d'avoir son prochain livre entre les mains. En plus J'ai lu qu'une adaptation au cinéma était déjà prévue et qu'Amandla Stenberg (Rue dans The Hunger Games) jouerait le rôle de Starr. Je suis impatiente de voir ça! Et pas de rapport direct, mais j'ai trouvé que pas mal de problématiques se retrouvaient aussi dans la série Dear White People, qui vient de débarquer sur Netflix et que je vous recommande vivement. Ma note 9.5/10 parce que j'aurais aimé que l'officier de police ait plus à faire dans le roman que tirer sur Khalil. Ceci dit, je comprends que c'est un choix de l'auteure et à part ça, je n'ai rien à reprocher à ce livre. C'est déjà impressionnant en soi, mais pour un premier roman, c'est carrément incroyable. The Hate U Give est largement à la hauteur de sa hype. Foncez. Le mois prochain J'ai vraiment beaucoup aimé la série Big Little Lies, qui vient de se terminer, et j'ai très envie de lire le roman. Donc ce mois-ci, ce sera Petits Secrets, grands mensonges, de Liane Moriarty.
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