Voilà un synopsis bien intriguant. Déjà que j'avais repéré la couverture canon, j'ai gardé l’œil ouvert jusqu'à ce que je finisse par mettre la mains sur un exemplaire d'occasion et que je me sente d'humeur à l'attaquer. Oh boy, que c'est malaisant, tout ça. Et même si je reste perplexe à la fin de ma lecture, je trouve quand même que c'est un roman qui mérite d'être lu. Niveau TW, outre les plus évidents comme la torture et le cannibalisme, on a aussi le viol, la perte d'un bébé, celle d'un parent, les sévices sur animaux (la description est graphique), le suicide, ... Bref, vous avez intérêt à avoir l'estomac bien accroché. Personnellement, j'aurais aimé être prévenue donc me revoilà en train de râler contre les ME qui ne donnent pas les TW au début du bouquin. Flammarion, si vous me lisez... Je vais commencer par aborder la question qui me taraudait avant même d'acheter mon exemplaire: si tous les animaux du monde devenait d'un coup impropres à la consommation, pourquoi le monde n'est pas devenu vegan? Je ne suis pas végétarienne moi-même, mais sûrement ceux qui aiment et défendent la viande envisageraient cette option avant de recourir au cannibalisme, non? On a quelques éléments de réponse, du fait que des études auraient prouvé que ce n'était pas possible de survivre avec ce genre de régime alimentaire (dans le roman, hein, parce qu'IRL, l'inverse a été prouvé) mais il semblerait que le gouvernement ait poussé pour que ça passe, à cause de problèmes tels que la surpopulation, la pauvreté grandissante et la famine générale. S'en serait suivi une énorme campagne de propagande, l'interdiction de considérer les "têtes" comme des êtres humains et des punitions exemplaires pour les contrevenants. Et du coup, ça a fini par entrer dans les mœurs, même s'il y a toujours des vegans dans ce monde. Je trouve que ça passe plutôt bien, même si je suis déçue que cet axe n'ait pas été plus étoffé. Je comprends que au moment de l'histoire, le temps du débat soit passé, mais vu que j'aurais fait partie de l'opposition, je suis frustrée qu'on n'ait pas su me convaincre. J'ignore les convictions de l'autrice, donc je ne sais pas si les têtes d'élevage sont une manière de critiquer notre consommation de viande actuelle. Dans les faits, et ça fait partie de la frustration dont je viens de parler, la manière dont ont été sélectionnées ou crées les têtes destinées à l'abattage n'est pas expliquée. Qui a décidé de qui mangerait et qui serait mangé? Sur quels critères? Ces têtes sont-elles des genres de clones, nés en labo? Si oui, quel impact sur la surpopulation, avancée comme l'un des principaux arguments pro-viande? D'autant que cette "viande spéciale" coûte apparemment plutôt cher, et la pauvreté grandissante était un autre argument important. Qu'en est-il des charognards qui rôdent autour de l'abattoir? Qui sont-ils et comment en sont-ils arriver à tourner autour des abattoirs dans l'espoir de ramasser un morceau de viande mis à la benne? Le concept de l'intrigue est excellent, mais il manque cruellement de worldbuilding, je trouve. L'idée que les humains sont devenus les véritables animaux se retrouve tout au long du livre. Certains sont d'entrée désignés comme tels, comme les charognards, par exemple, mais aussi avec le Chien, l'assistant de la bouchère. Cette idée est exacerbée par le fait qu'ils sont violents et semblent muets, ne s'exprimant qu'à travers de cris et de grognements. C'est un contraste intéressant par rapport aux chiots que Marcos rencontre dans le zoo abandonné, à qui il a donné des noms. Même la tête qu'il a reçue en cadeau, Jasmin, a droit à un nom, parce qu'elle adopte le comportement d'un animal de compagnie, tandis que la description du Chien et des charognards les rapproche plus des chiens sauvages croisés au zoo. Ce procédé nous amène à nous demander qui sont les humains et qui sont les animaux. Passons à notre personnage principal. Marcos travaillait dans un abattoir "traditionnel" avant le virus. Il travaille toujours dans l'abattage, ce qui lui donne un point de vue particulier sur tout le processus et sur la viande en particulier, mais suite à la mort de son bébé, il se sent désespérément seul. C'est ce qui m'a frappée le plus. Entre sa femme qui a pris ses distances, son père à l'hospice et sa sœur avec qui il n'a rien en commun, il n'a personne dans sa vie. Il a aussi vu la Transition affecter beaucoup de gens autour de lui, comme sa sœur, dont la désinvolture vis-à-vis de la viande le révulse. C'est à travers ses yeux et son jugement qu'on découvre ce nouveau monde, et je pense que c'est son regard clinique sur l'abattage qui permet le ton du roman. Plus que le cannibalisme, c'est le détachement et l'attitude blasée des personnages qui font froid dans le dos. L'horreur n'est pas tant dans le gore, puisqu'il n'y a que très peu d'effusion de sang, que dans l'aseptisation du processus. Comment peut-on en arriver à un tel niveau de détachement? J'imagine que beaucoup de végétariens pourraient nous poser la même question vis-à-vis des animaux, de nos jours. Il y a matière à réflexion, je pense. Spoilers ! Je ne vais pas mentir: je suis perplexe par l'enchainement des évènements. Je n'arrive pas à comprendre le cheminement de pensée de Marcos. Il parle à sa femme pour la première fois depuis qu'elle a déménagé. Il brûle le berceau qu'il avait fabriqué. Il fonce chez la bouchère pour une partie de jambes en l'air. Il va déjeuner avec sa sœur. Il trouve des chiots au zoo. Il rentre chez lui coucher avec Jasmin. La seule chose que je vois, et peut-être que c'était le but, c'est que Marcos semble trouver plus de réconfort auprès des animaux que de son entourage. Il faut dire que sa sœur semble particulièrement odieuse. Cette technique des mille morts sur sa tête domestique... Pas étonnant que ça ait fait sortir Marcos de ses gonds, surtout alors qu'elle a passé si peu de temps à se préoccuper de son père. Elle semble ne s'en préoccuper que pour se faire bien voir, et la tête domestique est au même niveau que l'urne de son père: servir son rang social. J'ai trouvé que c'était sans doute le personnage le plus monstrueux du roman. La fin m'a complètement surprise. Je ne sais pas pourquoi, je m'étais laissé croire que Jasmin représentait quelque chose pour lui. C'est peut-être la manière dont il méprise sa sœur parce qu'elle a une tête chez elle, la compassion dont il semblait faire preuve avec les chiots trouvés au zoo, ... Je n'ai pas vu arriver le coup de massue (littéralement). "Elle avait le regard humain de l'animal domestiqué". Si je dois émettre une hypothèse, je pense que c'est lui qu'il a protégé dans le sens où peut-être qu'il ne se serait pas senti capable d'utiliser un "animal domestique" comme une tête d'élevage. C'est une chose d'abattre des têtes à la chaine, au travail, mais comme on l'a vu chez sa sœur, en garder une chez soi et prolonger ses souffrances, c'est complètement différent. Il peut y avoir d'autres raisons, comme la menace d'une nouvelle inspection ou une certaine pitié envers Jasmin, mais j'aime penser qu'il y a encore quelque chose d'humain (!) chez lui. En tout cas, ça m'aura fait cogiter, c'est certain! Et ça m'a retourné l'estomac, donc pour un roman d'horreur, le but est atteint. Ma note 6.5/10. C'est un tour de force dans le genre, c'est sûr. Mais le contexte spatiotemporel nécessitait plus d'information à mes yeux pour que l'intrigue ait une puissance à la hauteur de ses ambitions. Le mois prochain Malheureusement mon exemplaire de Lost in the Never Woods, d'Aidan Thomas, ne m'a toujours pas été envoyée. Donc ce sera un autre titre qui me parait très prometteur: The Obsession, de Jesse Q. Sutanto.
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