Je surveillais rapidement les sorties chez Hachette parce que je savais qu'ils rééditaient Tyler Johnson was here en poche, avec la couverture de la V.O. J'ai donc vu passer La Rue qui nous Sépare parmi les nouveautés de Janvier. L'histoire semblait touchante et je venais de terminer mon dernier livre, donc il a suffi que La Booktillaise me pousse légèrement aux fesses et j'ai été curieuse. Merci donc à Hachette d'avoir validé ma demande sur NetGalley et de m'avoir envoyé un exemplaire numérique en échange de cette chronique. C'est évident que l'autrice a du talent à revendre. Sa grande force, c'est sa manière d'écrire des personnages complexes et attachants. Je vais commencer par un point diversité et surtout, surtout, TW. On a un personnage principal d'origine asiatique qui a été adopté à 5 ans et un personnage féminin qui évoque un rencard saphique. Et pour les TW, accrochez-vous: alcoolisme, drogues, viol sur mineure (13 ans), prostitution forcée de mineure (15 ans), violence domestique, bref, c'est carrément pas la joie. Et encore, je suis persuadée que j'en oublie. Donc les personnages. Déjà, on a Mia, jeune étudiante en droit, visiblement issue d'une famille aisée vu ses conditions de vie: colocation avec deux cousins dans un logement dont les parents sont propriétaires, pas de travail alimentaire à côté de ses études et apparemment aucun souci financier. Elle est plutôt timide, cède facilement à ses angoisses et se remet plus ou moins d'un traumatisme passé qu'on découvrira dans le roman. En face, on a Tristan, un jeune homme qui a environ le même âge, qui s'est retrouvé à la rue quelques années plus tôt. Son propre passé l'a rendu méfiant et sa situation actuelle accentue le sentiment d'infériorité qu'il ressent face à Mia. Autant vous dire tout de suite que la romance est mal barrée. Si je devais résumer à mon principal sentiment, ce serait "frustration". Mia et Tristan sont tous les deux terrifiés de ce que l'autre pense ou risque de dire, ou de faire, et ils se font des films incroyables avec les pires scenarii possibles. Leur communication est blindée de non-dits, de sous-entendus, ils font un pas en avant, trois pas en arrière, au point qu'on passe plus de temps sur leurs angoisses de relation imaginaire que sur leur relation réelle. Ne vous laissez pas décourager, pour le coup, c'est vraiment un problème qui vient de moi. Je n'ai pas beaucoup de patience et je suis plus du genre à mettre les pieds dans le plat, donc forcément leurs interactions étaient frustrantes pour moi. En revanche, je trouve qu'elles permettent de les rapprocher. Je trouve que dans tout le roman, on met Mia et Tristan en parallèle, ça se voit jusqu'à l'alternance régulière de leur POV. On insiste sur les différences entre leurs deux vies. Mais leurs angoisses mettent l'accent sur leurs similarités et je trouve que ça sert parfaitement le propos du roman, qui est cette distance si ridiculement petite mais aussi si profonde qu'on peut imaginer entre une étudiante en droit de milieu aisé et un SDF. Je trouve que ça force le questionnement de notre propre rapport aux SDF qu'on croise dans la vie. Est-ce qu'on les regarde différemment? Est-ce qu'on les regarde tout court? Est-ce qu'on les ignore? Pourquoi est-ce qu'on ne veut pas les voir? Ma théorie personnelle est celle du victim-blaming inconscient. Voir des SDF nous met mal à l'aise parce qu'on sait, au fond de nous, que ça pourrait être nous. On essaye de se rassurer en se disant qu'ils ont dû faire quelque chose qui les a menés là, quelque chose qu'on ne fera pas et qui donc nous évitera de nous retrouver à la rue nous aussi, mais je pense qu'on n'est pas vraiment dupe. Spoilers! Cette impression a été renforcée pour moi par la scène de la soirée du Nouvel An. Une fois qu'il est douché et habillé de vêtements propres, Mia se laisse aller à oublier que Tristan est SDF. Cette soirée a tout du rencard parfait, avec un jeune homme séduisant, qui sait cuisiner, prépare un dîner délicieux, a de la conversation, ... Et l'illusion ne se brise que quand Valentin rentre avec ses questions, ce qui nous ramène brutalement à la réalité, et quand je dis "nous", j'inclus Mia et Tristan. La bulle dans laquelle ils avaient passé la soirée à éclaté d'un coup et ce changement radical d'ambiance a été écrit à la perfection. Le malaise était palpable. J'aimerais aussi mentionner les autres personnages du roman. Valentin et Joanna ne sont pas complètement oubliés comme faisant partie du décor. Leur présence reste discrète par rapport à Mia et Tristan, mais ils ont leur rôle à jouer et surtout, ils ont leurs propres problèmes. Je suis contente qu'on ait pu aborder la relation entre Valentin et Laura, mais aussi la rancœur que Joanna éprouvait au sujet de la relation que son frère entretenait avec Mia. J'ai trouvé que ça leur donnait de la profondeur sans pour autant voler la vedette aux protagonistes, ce qui est un équilibre pas facile à trouver. Mon seul vrai regret, c'est Lila. J'admets avoir espéré qu'il serait possible de l'aider, à défaut de pouvoir démanteler le réseau de prostitution dans son intégralité. Ceci dit, j'aime penser que Tristan lui a donné l'adresse de Mia et qu'elle viendra un jour frapper à la porte pour trouver l'aide et le soutien dont elle a tellement besoin. Au final, la vraie grosse surprise, pour moi, ça a été ça: J'ai trouvé ça génial. Parce que c'est un peu le dilemme qu'on a pendant tout le roman: est-ce qu'on se laisse aller à espérer un conte de fées, ou est-ce qu'on essaye d'être réaliste et de se dire que ça ne marchera pas? Ben j'apprécie énormément que l'autrice nous laisse le choix. Et j'ajoute même le bonus que la fin triste arrive avant l'autre, parce qu'on peut décider de la lire et finalement, de continuer avec la fin heureuse si on se rend compte que non, en fait, on n'était pas vraiment de taille à encaisser la réalité. Je trouve le concept vraiment cool. Je ne pense pas que ça pourrait s'appliquer à beaucoup de romans de manière générale, mais pour La Rue qui nous Sépare, c'était une idée de génie que je ne peux que saluer. En ce qui me concerne, j'ai tout de même préféré la fin heureuse. Parce que j'ai beau faire ma cynique, j'aime les histoires qui se terminent bien. Mais aussi parce que la profondeur de Valentin et Joanna que j'ai mentionnée? Elle n'est décrite que dans cette fin-là. L'autre est bien aussi, peut-être plus réaliste, mais je l'ai trouvée trop abrupte. Je pense que d'une certaine manière, ça me faisait de la peine que ça se termine comme ça. Pour résumer, je suis contente de ma lecture et je vais garder l’œil ouvert pour d'autres publications de Célia Samba. Je lui souhaite beaucoup de réussite. Ma note C'est vraiment une question de goût, pour le coup, je vais donner 7.5/10. Pas tout à fait un coup de cœur, mais c'est extrêmement bien construit et travaillé. Je comprends pourquoi ce roman a gagné un concours et j'encourage tout le monde à lui donner une chance. Et si on veut agir aussi? Soyons clairs: je ne vous encourage absolument pas à inviter des inconnus chez vous, surtout si vous êtes une femme et que vous vivez seule. Mais on peut commencer avec ça: PS: si vous croisez des SDF au supermarché, pensez à leur prendre un sandwich, voire à leur demander si quelque chose de précis leur ferait plaisir. La réponse pourrait vous surprendre parce qu'il y a tellement de choses auxquelles ont ne pense pas forcément: un plat à réchauffer, des croquettes pour leur animal de compagnie, un paquet de biscuits, du dentifrice, des protections périodiques, ... ça peut être utile de s'arrêter une minute pour dire bonjour et poser la question.
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