Laisse-moi entrer est un oublié de ma PAL. Je me souviens avoir vu le film (la version US) au cinéma, donc c'est probablement pour ça que je l'ai acheté, mais je n'ai jamais pris le temps de m'y intéresser sérieusement. Je l'ai retrouvé récemment dans un carton, juste à temps pour Halloween, génial, c'est parti. Trigger Warnings: un des personnages dont on suit le point de vue est pédophile, ce qui est décrit de manière assez imagée. On a aussi du harcèlement scolaire (le gosse se fait régulièrement agresser), des personnages drogués, des scènes assez gores et une tentative de viol sur Eli. C'est cru, vous êtes prévenus. Dans l'ensemble, j'ai beaucoup aimé ma lecture. L'ambiance glauque était superbe et les personnages sont merveilleusement bien écrits. Ceci dit, je dois bien reconnaitre que sur la fin, je n'en voyais plus le bout et je trouve que certains passages passés sous silence auraient mérité qu'on s'y arrête. Le style est fluide, facile à suivre. On a quelques longueurs, quand même, et des sous intrigues qui ne sont reliées à la principale que de loin et qui paraissent facilement superflues, mais rien qui ne m'ait freinée dans ma lecture, donc ça passe. En fait, il y a beaucoup de psychologie, dans ce roman. Et finalement, assez peu d'action. Je me suis surprise à penser à Une Place à Prendre, à ce niveau-là, beaucoup de personnages, beaucoup de points de vue différents, peu d'actions concrètes. On aime ou on n'aime pas mais on ne peut pas nier que les personnages sont magnifiquement écrits. Et heureusement, parce que le revers de ces romans qui reposent sur leurs personnages, c'est que si ces personnages ne tiennent pas la route, c'est foutu. Toujours est-il que le rythme est lent mais le style impeccable et la galerie de personnages est sans faute. Le roman est divisé en cinq parties, plus un épilogue et un "prologue" au début qui sert à présenter le cadre spatial du roman. L'intrigue se passe dans une banlieue froide et impersonnelle de Stockholm. Pour le cadre temporel, les chapitres se découpent en fonction de la date. Ils vont du Mercredi 21 Octobre 1981 au Vendredi 13 Novembre, donc l'intrigue se passe sur un peu plus de trois semaines. Le découpage me parait cohérent mais je trouve le rythme un peu inégal. On commence bien, lentement mais sûrement, puis vers le milieu, ça se traine un peu à cause des sous intrigues, et la dernière partie avant l'épilogue passe très (un peu trop) rapidement. C'est explicable, parce qu'il y a des jours où plus d'évènements prennent place et d'autres où rien d'intéressant n'arrive, mais dans la dernière partie, je pense vraiment qu'il manquait quelque chose, j'y reviendrai dans la partie spoilers. Les points de vue sont multiples, les personnages nombreux. Il m'a fallu un peu de temps pour retenir leur nom et situer à peu près qui est qui parce que plusieurs personnages portent des noms similaires, mais on identifie qui est dans la scène assez rapidement à chaque changement. Parmi les points de vue les plus importants, on a évidemment Oskar, puis Hakan (le "père" d'Eli), Lacke, Tommy, Staffan (le policier qui enquête sur les meurtres), puis on ajoute Virginia et Eli a aussi quelques chapitres. Il y en a d'autres, mais ils sont plus ponctuels et moins importants. J'aurais peut-être dû faire un petit schéma comme avec Une Place à prendre, mais le temps que j'y pense, j'étais déjà bien avancée et ce n'était plus vraiment la peine. Tant pis. Attention spoilers. Ce qui est assez cool, c'est que j'ai vu le film à sa sortie en France, donc il y a plusieurs années. Du coup je me souvenais de l'intrigue générale mais pas des détails, ce qui m'a permis de ne pas tout savoir à l'avance et de garder un peu de surprise. Il y a aussi des aspects qui ont été atténués (je ne me rappelle pas que le "père" d'Eli était pédophile, dans le film, alors qu'il l'est explicitement dans le livre), voire complètement occultés, comme le fait qu'Eli est en fait un garçon. J'ai été surprise en lisant ce passage, mais en y repensant, ça aurait dû être évident: Hakan n'avait jamais montré le moindre intérêt pour les petites filles. Il s'attaquait systématiquement aux garçons. Donc quelque part, c'était logique qu'Eli, au lieu d'être une exception, suive cette règle. Je suis vraiment tombée dans le panneau, et c'est suffisamment rare pour être mentionné. Chapeau. Oskar met bien 300 pages à percuter qu'Eli est un vampire. Autant je peux concevoir qu'on attende une centaine de plus pour apprendre que c'est en fait un garçon, autant là, non. Parce que le fait qu'Eli s'appelle Elias, en tant que lecteur, on ne le sait pas. Le fait qu'il soit un vampire, on le sait dès qu'on a lu le synopsis, donc avant même de commencer le livre. Du coup c'est un peu long pour révéler un "secret" qu'on connait déjà. Sa réaction à cette révélation m'a paru un peu rapide. Qu'il ait eu des tendances psychopathes, OK, mais il a passé du temps à être choqué par les meurtres de Hakan, alors j'aurais cru qu'il le vivrait un peu plus mal que ça. Surtout que le fait de saigner des gens pour se nourrir, à la limite, ça peut se comprendre. Mais ils ont retrouvé le cadavre de Jocke avec la tête arrachée, quand même. Certains points de vue semblent moins nécessaires que d'autres, comme ceux du groupe d'amis qui vient boire dans le coin. Ils ne sont en fait pertinents qu'en tant que dommages collatéraux, à partir du meurtre de Jocke. Ces passages restent liés à l'intrigue, mais paraissent un peu superflus. Que Virginia découvre sa nouvelle condition nous donne une idée de ce que c'est qu'être un vampire, puisqu'Eli reste insondable, mais l'évolution de la transformation et les changements qu'elle implique est un peu le seul intérêt de cette "sous intrigue". Parce qu'on manque d'infos concernant les vampires. On arrive à reconstituer à peu près l'histoire d'Eli, grâce à quelques passages ici et là. Elle commence son récit p.233 de mon édition (Vendredi 30 Octobre, quand elle raconte à la dame qui a un cancer), mais ne le reprend que p.405 (Samedi 7 Novembre (nuit), quand elle embrasse Oskar), puis p.520. En gros, Eli était le plus jeune fils d'un paysan et à 11 ans, elle a été emmenée chez le seigneur pour qui son père travaillait, avec plusieurs autres garçons de son âge. Là-bas, il a été choisi et a été torturé, puis, j'imagine, transformé. On ne sait pas grand chose du processus ni de ce qui s'est passé juste après, comment Eli s'est sorti de cette situation ni ce qu'est devenu le seigneur, par exemple. Idem pour la femme qui a dit à Eli qu'ils pouvaient mourir, elle n'est mentionnée que pour ça. Elle n'a donné que très peu d'informations et c'est la seule fois où on en a entendu parler. L'idée d'un genre de parasite au niveau du cœur a été évoquée, mais d'autres règles sont plus floues: en quoi Eli se transforme? Pourquoi les gens qu'il mord (Virginia et Hakan) sont infectés alors qu'ils n'entrent pas en contact avec son sang à lui? Et si c'est transmissible par la salive, pourquoi Tommy n'a pas été infecté? La relation entre Oskar et Eli reste très platonique (et j'ai envie de dire "encore heureux", vu l'âge d'Oskar) mais le fait que l'auteur n'ait pas hésité une seconde sur les actes pédophiles de Hakan me laisse penser que c'était effectivement quelque chose à remarquer. Déjà, contrairement à ce qu'on aurait pu penser pour un personnage des années 80, Oskar passe très peu de temps à se dire qu'il est peut-être homosexuel et on n'a jamais vraiment de réponse à cette question. Parce qu'en fait, ce n'est pas utile. Eli est un garçon, si on veut, mais c'est surtout un vampire, et la relation qu'il a avec Oskar n'est pas d'ordre sexuel. Ils ont partagé un lit (p.249), Oskar a vu Eli nu plusieurs fois, ils s'embrassent parfois, pour partager les souvenirs d'Eli, ou à la fin, vraiment par amour, mais je trouve que c'est raconté avec une pureté qui contraste avec les scènes de Hakan, en particulier celle où il tente de violer Eli et où on insiste sur la douleur et le dégoût (la bave au goût de cadavre p.581, par exemple. Absolument dégueulasse...). De son côté, Oskar n'a jamais pensé à Eli de cette manière, que ce soit pour le sexe ou l'agression. Son amour est désintéressé et c'est ce qui fait la beauté de cette relation. Le côté harcèlement scolaire était vraiment graduel au début, puis ça a escaladé d'un coup dans la dernière partie, avec le métro, l'incendie et la piscine. Au niveau de l'écriture, on peut facilement mettre ça sur le dos de l'absence d'Eli, qui remplissait la vie d'Oskar jusqu'à sa "disparition" dans la dernière partie. Si son absence a été expliquée, j'ai dû rater le passage parce que je n'ai pas souvenir que ça ait été dit. Il est juste parti, puis revenu pour sauver Oskar à la piscine. J'ignore où il était pendant ces trois jours, mais ce sont les chapitres les moins longs du roman, je pense, donc l'action donne l'impression de se précipiter. J'ai aussi été surprise par l'incendie déclenché par Oskar: qu'il se défende, oui, mais un incendie volontaire? L'escalade est un peu raide, même s'il assume mieux sa part d'ombre au contact d'Eli. Aussi, je regrette vraiment qu'il n'y ait pas eu une scène supplémentaire de la piscine, du point de vue d'Oskar, pour préparer l'épilogue. Donc c'était un très bon roman. Même si Laisse-moi entrer ne deviendra pas mon livre de vampires préféré, cette relation magnifique entre les deux protagonistes vaut largement la peine de le lire. SuiteBon à savoir: l'auteur a par la suite publié un recueil de nouvelles pas traduit en français, mais traduit en anglais sous le titre Let the old dreams die, et dont la nouvelle éponyme concerne Oskar et Eli. En fait, elle parle du contrôleur de train de l'épilogue et d'une policière qui travaillait sur l'affaire des meurtres. Ils sont tombés amoureux et cette affaire est un peu leur hobby, ce qui, d'après les chroniques que j'ai lus, nous permet d'avoir une idée de ce qu'Oskar et Eli sont devenus. Donc ce n'est pas vraiment une suite, mais vu la fin ouverte du roman, cette nouvelle peut avoir son intérêt. Adaptations La première adaptation (Morse, 2008), suédoise et avec un scénario écrit par Lindqvist lui-même, a été particulièrement acclamée. Un remake américain (Let me in), avec Chloe Moretz et Kodi Smit-McPhee, est sorti en 2010. Ma note Je vais donner 7/10. La relation Eli/Oskar est magnifique, les personnages sont parfaits, l'ambiance est bien glauque et c'est bien écrit, mais je regrette le peu d'éléments sur l'histoire d'Eli et les vampires en général et les passages superflus qui allongent le roman sans vraiment être intéressants. Le mois prochain J'avais prévenu mais je le rappelle: le prochain article concernera Wonder Woman: Warbringer, de Leigh Bardugo.
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