Je reconnais que je n'étais pas très emballée à sa sortie. J'étais à fond pour un roman de J.K. Rowling en-dehors de l'univers Harry Potter mais le synopsis ne me paraissait pas très attirant. J'ai fini par mettre la main sur un exemplaire d'occasion pour une misère et l'idée de découvrir la plume Rowling dans un univers différent de la saga qui a marqué mon enfance a fini par me décider. Avant de commencer, je vais balancer quelques Trigger Warnings: violence domestique, consommation de drogue, négligence infantile, viol, harcèlement scolaire, automutilation, petites touches d'inceste et de pédophilie sous-entendues, et j'en passe, bref, ça respire le bonheur, là-dedans. Assurez-vous de vous lancer en connaissance de cause. Sans devenir un de mes romans préférés, j'ai trouvé une Place à prendre absolument génial. Ce qui est le plus important, dans ce roman, ce sont les personnages. LES personnages, parce que non seulement il n'y a pas de personnage principal, il n'y a pas non plus de point de vue unique. Chaque chapitre change de perspective, ce qui a rendu le début un peu difficile à suivre le temps que j'en sache assez sur les personnages pour les distinguer les uns des autres. J'ai dû revenir en arrière plusieurs fois pour vérifier qui était qui, et finalement, j'ai fait un petit dessin pour m'y retrouver plus rapidement en cas de doute. Je l'ai refait vite fait sur Photoshop pour vous montrer un peu: Ce n'est ni très esthétique ni parfait, mais plutôt que de devoir parcourir une nouvelle fois les chapitres du début à la recherche d'indices qui permettent d'identifier un personnage qui nous laisse perplexe, je trouve que c'est plus simple de prendre quelques notes rapides à chaque nouveau personnage et consulter le dessin en cas de besoin. Et de toute façon, on n'en a pas besoin longtemps parce que les personnages sont tellement bien écrits qu'ils prennent vie très vite. Rowling a vraiment un don pour créer des personnages crédibles et réalistes. Au niveau de l'intrigue, il n'y en a pas vraiment. En fait, dans un genre de prologue, Barry fait une rupture d'anévrisme. Le roman raconte l'effet que cette mort a sur les habitants de la commune de Pagford. Pagford prend des airs de Wisteria Lane au fur et à mesure qu'on creuse les personnages: la façade on ne peut plus respectable des habitants cache les pires horreurs. Et le plus fort? C'est qu'aucun d'entre eux n'est tout noir ou tout blanc. Ils ont tous leurs qualités comme leur faiblesses, à quelques exceptions près. La manière dont ils sont écrits est tout bonnement magistrale, aucun n'est en-dessous des autres. Violence, drogue, sexe, Rowling ne nous épargne rien. Plus le roman avance, plus on s'enfonce dans l'horreur et Rowling écrit avec une virtuosité qui ne se relâche jamais, même dans les passages les plus crus. Je suis très impressionnée parce que j'avais beau savoir qu'elle écrit très bien (j'ai lu Harry Potter, après tout), elle a réussi à me captiver avec quasiment rien de plus que des personnages pendant près de 700 pages. Sacré tour de force, quand même, parce qu'il aurait suffi de peu pour qu'on ait un pavé assommant au lieu de ce roman passionnant. Et attention, spoilers. Sooks est le personnage qui m'a le plus touchée. Elle fait un peu partie du décor avant qu'on ne passe à son point de vue, d'ailleurs je ne l'avais même pas notée sur mon dessin au début tellement je ne l'avais pas remarquée. Mais quand on finit par s'intéresser à elle, elle prend vie. Je me suis même sentie coupable de l'avoir négligée quand je me suis rendu compte de ce qui se passait. Elle m'a fait très peur quand je l'ai vue rejetée par tout le monde (sa mère, Tessa, ...), parce que je la voyais déjà se suicider avant la fin du livre. Ce qui fait que j'ai beaucoup apprécié l'amitié qui s'est tissé entre elle et Gaïa. Le passage où Gaïa lui offre son t-shirt à manches longues pour cacher ses cicatrices m'a énormément soulagée parce que c'était la première personne que je voyais réellement la soutenir. Elle a eu la chance que Krystal n'a pas eue, mais de justesse, et je suis vraiment ravie que sa vie s'annonce meilleure à la fin du roman. Krystal, justement, est le personnage le plus tragique du roman. Dès le départ, quelque part, on sait qu'elle ne s'en sortira pas. Pas sans Barry Fairbrother. J'ai eu un espoir en voyant arriver Kay, que j'ai beaucoup aimée, d'ailleurs, en me disant qu'au moins une autre personne avait foi en elle et en sa famille. Que peut-être ce serait suffisant. Mais j'aurais dû me rappeler que Rowling adore nous arracher le cœur, et de toute façon, il faut bien reconnaitre qu'elle n'avait aucune chance. Absolument tous ses soutiens lui ont été retirés: Barry est mort, sa grand-mère aussi, sa mère a replongé et son dossier a été retiré à Kay au profit son ancienne assistante sociale incompétente et/ou je-m'en-foutiste. Elle n'a plus personne vers qui se tourner et elle ne pouvait pas s'en sortir seule. J'ai été très choquée par la manière dont ça s'est passé, par contre. La mort de Robbie était vraiment un évènement atroce et après tout ce qu'elle avait déjà vécu, ce n'est pas étonnant que la culpabilité d'avoir laissé son petit frère sans surveillance l'ait poussée au suicide. Elle n'a pas eu de chance à la naissance, elle était grossière, elle ne travaillait pas à l'école, mais elle avait des valeurs et le sens des responsabilités. Pourtant elle n'a reçu que du mépris de la part des Pagfordiens bien-pensants, qui ne voient probablement dans sa mort que la confirmation que c'était une fille dérangée qui ne méritait pas qu'on l'aide. Pour les autres personnages, il y a un thème récurrent de justice karmique. C'est là que je savoure l'humour noir de Rowling parce que c'est vraiment pile mon rayon. Un de mes cas préférés est Gavin. Gavin est un coureur qui s'est retrouvé avec Kay un peu par hasard et l'a laissée déménager avec sa fille sans lui dire qu'il ne voulait pas vraiment d'elle. C'est un lâche et un goujat (j'ai en tête un mot plus vulgaire mais "goujat" fera l'affaire). Je trouve extrêmement poétique que son histoire se termine avec le rejet de Mary Fairbrother, sur qui il avait déjà commencé à se faire un film, comme il avait laissé Kay le faire sur lui, et plus tard, celui de Kay, vers qui il espérait retourner en rampant. Dans le même style, j'avoue avoir aussi éprouvé énormément de plaisir avec l'histoire du fantôme de Barry, que j'ai trouvée d'autant plus jouissive qu'aucune des personnes visées, à part Simon Price mais il a vite changé de suspect, n'a compris que les squelettes de leur placard étaient exposés par leurs propres enfants. Même dans le cas de Howard Mollison, l'information vient de sa fille Patricia. Sans même se consulter entre eux, ils ont tous trouvé un moyen de se venger de l'attitude de leurs parents à leur égard. Tous ont été maltraités d'une certaine manière, Andrew se faisait régulièrement cogner, Sooks était sans arrêt rabaissée par des comparaisons avec ses frères et sœurs et l'homosexualité de Patricia avait simplement été balayée sous le tapis. Violence physique, maltraitance psychologique, rejet. Donc ils se sont vengés de leurs parents en frappant là où ça faisait mal. C'est moche, mais j'applaudis vivement, au moins dans trois cas sur quatre. Trois sur quatre parce que l'un des gosses est une de mes bêtes noires: Fats. De la même manière que je crève d'envie de voir Simon Price rôtir en Enfer, je n'ai aucune sympathie envers ce personnage, qui me rappelle vaguement un ado emo-wannabe à la con, incapable de se rendre compte des privilèges dont il bénéficie et qui se tient à l'écart des autres parce que c'est trop des losers alors que moi je suis authentique, t'as vu. T'es pas authentique, petit con, t'es juste un sale gosse pourri gâté par des parents qui se sentent trop coupables pour t'imposer de réelles limites. Krystal, Andy, Sooks, EUX, ils ont vraiment des problèmes avec leurs parents. Fats, lui, n'a jamais compris que la misère, ce n'est "romantique" que vu de loin. Il admirait le tempérament de Simon, mais quand il s'est retrouvé face à un Simon fou de rage, enfant, il s'était littéralement fait pipi dessus de trouille. La mort de Robbie enfonce le clou: l'authentique, vu de près, c'est beaucoup moins glamour que ce qu'il espérait. Espérons que ce choc, l'aveu de sa mère et la compassion de son père le fassent évoluer dans la bonne direction. Les mariages en apparence parfaits en prennent aussi salement pour leur grade. Deux en particulier sont particulièrement intéressants à mes yeux. D'abord, mon préféré, on a les Mollisons "junior", Miles et Samantha. On se concentre plus sur Samantha, que la vie à Pagford a rendue assez aigrie. Elle n'est pas heureuse et elle est horrifiée de voir l'homme qu'elle a épousé se transformer en son beau-père. J'étais sincèrement dégoûtée pour elle quand l'amie de Lexie a téléphoné pour lui racheter son billet de concert à la dernière minute parce que je me disais qu'elle avait vraiment besoin d'y aller. Pas dans l'espoir de coucher avec le chanteur, faut pas charrier, mais pour respirer hors de Pagford et loin de cette élection qui lui empoisonnait l'existence. Je suis contente que l'histoire se termine bien pour elle, avec son mariage qui se raccommode et sa décision d'arrêter de boire. Du côté des Mollisons "senior", par contre, je ne sais pas si le mal est réparable et je vais vous dire: c'est bien fait pour eux. Ils sont égoïstes, arrogants et bornés. Ils sont pourris jusqu'à la moelle. Je n'en suis pas fière, mais j'ai été contente de voir Parminder incapable de soigner Howard parce qu'elle n'a plus le droit d'exercer à cause de lui (sweet karma...) et la réputation de Shirley "Madame citoyenne modèle" en miettes, elle qui aime tant les commérages. C'était génial. Bravo J. K. Rowling. AdaptationUne adaptation sous forme de mini-série de trois épisodes a été diffusée sur la BBC début 2015. Elle est disponible en DVD. Ma note Je vais dire 8.5/10. C'est superbement écrit et on se laisse facilement entrainer, mais il ne faut pas avoir peur des pavés. Le mois prochain J'ai choisi un livre malheureusement pas traduit en français. Il s'agit de Ice Massacre, de Tiana Warner. Un livre avec des sirènes meurtrières, écrit par une jeune auteure indépendante, je meurs d'impatience depuis que j'ai reçu mon exemplaire, du coup j'ai pris un peu d'avance.
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