Les vampires sont mon point faible. C'est aussi un des rares sujets que j'apprécie de lire en fiction comme en recherche, et comme mes dernières lectures sur le sujet remontent à trop loin pour mon propre confort, j'ai sauté sur l'occasion de lire Love at First Bite quand je l'ai eue. Un grand merci à Pen & Sword, qui m'a envoyé un exemplaire numérique en échange d'une chronique! Je suis agréablement surprise par la diversité des thèmes abordés, mais malheureusement je trouve que l'autrice aurait pu creuser un peu plus pour arriver à des remarques vraiment intéressantes. Pour commencer, un peu plus sur mon background, pourquoi j'ai voulu lire ce bouquin et pourquoi ce post fait trois kilomètres de long. En ce moment, je suis dans le développement informatique (Java mon amour), mais je n'ai pas fait mes études dans ce domaine. J'ai un Master de Lettres Modernes, et mon mémoire de M1, je l'ai fait sur... les vampires. Enfin, sur les revenants dans la littérature fantastique (principalement) française du XIXème, pour être plus précise. Gautier, Maupassant, Poe, Villiers de L'Isle-Adam, même Dumas, ils y sont passés, et surtout, une bibliographie qui allait avec. Spéciale dédicace à Daniel Sangsue pour son nom prédestiné. Donc quand un livre sur les vampires dans la culture pop débarque, je suis prise de nostalgie pour mes années de fac et j'ai envie de nourrir cette curiosité que je n'ai jamais vraiment assouvie. Je pense que ce livre a voulu couvrir trop de terrain, ce qui a fait qu'il survole beaucoup d'éléments mais souvent sans les approfondir. C'est le problème avec les essais sur les vampires, il y a tellement à prendre en compte qu'il faut soit se spécialiser sur un aspect, soit se résoudre à pondre un pavé. Pour un livre d'à peu près 200 pages, j'espérais une analysé ciblée sur le sujet donné par le titre, à savoir le vampire dans la pop culture. Et même dans les chapitres, c'est décousu. On passe d'une représentation à une autre sans rapport ni transition, ce qui m'a pas mal déstabilisé pendant ma lecture. Je pense sincèrement qu'on aurait gagné en régularité et en profondeur si l'autrice s'était focalisée sur une thèse plus précise. Un autre reproche que je peux faire est que l'autrice, de son propre aveu, s'est focalisée sur les représentations qui lui plaisaient le plus. C'est évidemment son droit, mais c'est impossible de faire une analyse objective quand on ne s'intéresse qu'à une partie des échantillons. Son analyse est donc biaisée dès le départ. Il y a tout de même du potentiel d'exploitation. Une thèse que j'aurais aimé voir approfondie est le sexisme du mythe du vampire. L'autrice évoque en particulier la Comtesse Bathory, qu'elle réhabilite en femme forte avec une puissance politique qui effrayait ses contemporains au point de l'accuser des pires méfaits pour se débarrasser d'elle. En la replaçant dans son contexte historique, elle nous propose une autre version de la "légende", plus plausible que celle que tout le monde connait. C'est une hypothèse que j'aurais aimé voir plus creusée parce que cette misogynie existe toujours: à force d'entendre que les femmes leur sont inférieures, beaucoup d'hommes sont terrorisés à l'idée d'être dépassés par une femme parce que ça voudrait dire qu'ils seraient les inférieurs. La femme puissante a donc longtemps était dénigrée et les constructions comme les sirènes, sorcières, succubes et oui, vampires, ont bien servi à la diaboliser au cours de l'Histoire et dans la pop culture. La Comtesse aurait pu servir de point de départ pour explorer ce biais plus en profondeur, d'autant que l'autrice mentionne des œuvres qui auraient pu illustrer ce propos, comme Byzantium, ou encore le personnage de Lucy Westenra dans Dracula, clairement punie pour sa sexualité. Le chapitre sur les vampires dans les comédies mériterait aussi d'être développé en une thèse complète, je trouve. On a de plus en plus de matériel sur le sujet, dans la parodie comme dans la comédie originale, et je pense que si on approfondissait un peu les recherches dans ce domaine, il y aurait matière à écrire une thèse intéressante. What we do in the Shadows est un très bon point de départ, mais difficile de parler de vampires en comédies sans mentionner le film original Buffy, tueuse de Vampires ou Le Bal des Vampires, qui sont des pionniers du genre. D'autant que les vampires n'échappent pas à la parodie, avec Mords moi sans Hésitation, Les Dents de la Nuit ou encore Lesbian Vampire Killers. C'est dans ce genre de chapitres qu'on ressent les limites du corpus retenu par l'autrice, le manque de cohérence (en tout cas, à mes yeux) fait que son analyse part dans plusieurs directions sans jamais aller au bout de la réflexion par manque de matériel complémentaire. Je pense aussi que l'autrice a mis le doigt sur quelque chose d'intéressant dans le chapitre sur l'immortalité, où elle explique qu'il s'agit plus d'un tourment que d'un cadeau. Elle s'appuie en particulier sur Louis, le vampire d'Entretien avec un Vampire, qui n'a plus goût à la vie, et sur Les Prédateurs, un film avec Catherine Deneuve et David Bowie (que je ne connaissais pas, mais je l'ai regardé depuis) où vie éternelle ne signifie pas jeunesse éternelle, pour illustrer son argument. Mais l'exemple qui m'a paru le plus intéressant est le cas des enfants. Claudia, du même roman/film, et Eli, le vampire de Laisse-moi entrer, sont des cas de vampirisme particulièrement fascinants du fait que leur corps ne vieillit pas. Claudia et Eli sont donc condamnés à grandir mentalement, mais jamais physiquement. C'est une aberration chez les vampires parce que la sexualité est une partie intégrante du mythe donc le cas d'un vampire mentalement adulte piégé dans un corps d'enfant est profondément déplaisante. Dans leur cas, le vampirisme est effectivement une torture. On évoque aussi la moralité du vampire, forcément un point qui mérite réflexion du fait que beaucoup de vampires tuent pour survivre. Twilight est mentionné, principalement pour les principes religieux d'Edward Cullen et le régime végétarien de sa famille, mais on aborde aussi le sentiment de culpabilité qui vient avec le meurtre. Est-ce qu'il existe, et si oui, comment est-ce qu'ils influencent la consommation des concernés? J'ai tout de même relevé un manque assez flagrant, parmi les vampires cités: le régime poche de sang, les ersatz développés en laboratoire et les donneurs volontaires. Les ersatz de sang comme le True Blood, en particulier, seraient intéressant à étudier parce que n'en déplaise à Edward, c'est ça, le vrai régime végétarien des vampires. Si les personnages de True Blood ne s'y tiennent pas forcément, le développement d'une telle boisson est un des points les plus importants du film Daybreakers, parce que la population humaine n'est plus suffisante pour nourrir les vampires et la faim fait d'eux des "subsiders", des vampires qui ont perdu tout semblant d'humanité. Le personnage principal est justement un hématologiste qui travaille pour mettre au point cet ersatz et refuse de se nourrir de sang humain. Un parfait cas d'étude pour explorer la moralité des vampires, d'autant qu'il se retrouve à travailler sur un remède au vampirisme pour éradiquer complètement le problème. Vient ensuite la sexualité du vampire, un thème incontournable dans le genre (ou presque). Incubes et succubes sont évidemment abordés, dans l'histoire comme dans la pop culture, et ils amènent avec eux la question du désir inavoué et de la culpabilité qui l'accompagne, certes, mais aussi celle du consentement et de son absence. Ces deux questions sont les deux faces d'une même pièce et le vampire, grâce au glamour qui le rend irrésistible aux yeux de ses proies, pose légitimement la question de savoir où le désir s'arrête et le viol commence. Une question qui fait la part belle à Dracula, par exemple, où on revient à ce magnifique exemple de misogynie envers Lucy, dont le discours laisse plus penser à un viol qu'à une relation sexuelle consentie mais se retrouve qualifiée de "prostituée volontaire" alors que Mina, séduite mais apparemment consentante, est considérée comme la femme vertueuse qu'il faut protéger à tout prix. Le consentement pourrait aussi être abordé dans la série True Blood, où l'ingestion du sang d'un vampire par un humain le rend particulièrement attirant, au point de causer des rêves érotiques comme lorsque Sookie et son frère Jason se surprennent à fantasmer sur Eric Northman après avoir bu son sang. Et pour en revenir à Dracula, l'autrice pense bien à mentionner de potentielles inclinaisons homosexuelles de la part de Bram Stocker, mais néglige de mentionner un roman mexicain renommé: La Glace et le Sel, de José Luis Zárate, qui raconte le voyage du Comte Dracula de la Transylvanie à Londres sur le Démeter et qui fait la part belle au désir homosexuel du capitaine du navire. C'est compréhensible, vu que la traduction en anglais de ce roman ne date que de cette année, donc l'autrice ne le connaissait peut-être pas, mais étant donné que l'homosexualité a longtemps été punie par la loi, et l'est toujours dans certains pays, on peut difficilement évoquer le désir inavoué des victimes de vampires sans la mentionner. Cette omission de l'autrice et d'autant plus étrange qu'elle n'hésite pas à mentionner Vampire Lovers, une adaptation cinématographique de Carmilla, et effleure en quelques mots le sujet avec Âmes Perdues, de Poppy Z. Brite. On continue avec le "vampire next door", qui vit parmi les humains et essaye plus ou moins de se fondre dans la masse. Exit les donjons et les cercueils, les vampires s'intègrent maintenant à la société du mieux qu'ils peuvent, comme Les Radley, de Matt Haig, ou les Cullen de Twilight. Cette option permet des parallèles intéressants complètement ignorés par l'autrice, malheureusement, en particulier avec le racisme. Parce que si ça passe avec les Radley et les Cullen, il y a d'autres relations de voisinage plus tumultueuses, à commencer par le classique Fright Night. Ici, un adolescent se méfie de son nouveau voisin, qu'il soupçonne d'être un assassin à cause de son comportement jugé étrange, et ce voisin s'avère être un vampire monstrueux. Inversement, dans le film Des Vampires dans le Bronx, les vampires sont les blancs qui gentrifient des quartiers pauvres. Et le racisme et la xénophobie sont aussi présents dans les autres lieux dont l'autrice parle, comme les ports. Pendant mon année de M1, j'ai aussi eu un devoir à rendre sur l'ailleurs dans Dracula, et en lisant Le Fantastique, de Denis Labbé et Gilbert Millet, j'ai pu constater la fréquence de l'étranger dans la littérature fantastique. Cet étranger est soit dangereux, soit fétichisé (l'obsession du XIXème et du début du XXème siècle avec l’Égypte est un exemple flagrant) et les ports représentaient l'ouverture d'un pays sur le reste du monde, et donc la manière la plus évidente de laisser entrer le danger. L'idée était que le danger venait de contrées inconnues, avec des traditions moins chrétiennes qu'en Occident. Ce trope n'a pas complètement disparu, comme l'illustre parfaitement la trilogie La Lignée, de Guillermo del Toro et Chuck Hogan, mais maintenant qu'on peut voyager beaucoup plus facilement et que l'immigration est plus courante, ce n'est pas étonnant de voir les vampires s'installer en banlieue. Et on boucle très rapidement sur la musique et la culture Goth. OK. Ce n'est pas inintéressant mais c'est beaucoup trop succint. Citer Adam et Lestat n'est pas suffisant, et Father Sebastiaan ne fait pas des crocs sur mesure et la Endless Night Vampire Ball plusieurs fois par an pour ne même pas avoir droit à une mention pour sa contribution à la culture vampire. J'ai trouvé étonnant que l'autrice préfère caser des courtes interviews de personnes plus ou moins connectées à cette culture en délaissant complètement l'importance de la musique dans les histoires de vampires. Elle a mentionné Génération Perdue, The Hunger et Âmes Perdues dans d'autres chapitres, mais même pas un mot sur le caméo d'Alice Cooper dans Dark Shadows? Elle mentionne Bela Lugosi's Dead, mais néglige If I Was Your Vampire, de Marilyn Manson? Pas un mot sur les bandes originales du Dracula de Coppola et d'Only Lovers Left Alive? Ni sur les nombreux artistes qui ont joué sur le look vampire dans leur carrière? C'est vraiment dommage, surtout que c'est le dernier chapitre avant l'épilogue. Finir sur quelque chose d'aussi maigre, c'est un peu décevant, je trouve. Un aspect qui n'est jamais vraiment discuté alors qu'il a tellement de potentiel est la maladie du sang. Les vampires sont souvent dépeints comme des prédateurs surpuissants mais l'autrice semble complètement négliger le fait qu'ils ne peuvent pas, ou plus, se nourrir de n'importe qui. Elle est pourtant sur la bonne voie, avec le sang contaminé du film Only Lovers Left Alive, et elle a vu True Blood, donc elle aurait dû remarquer le personnage qui espère contaminer des vampires avec son sang séropositif pour venger son amant qu'ils ont tué. Il y a d'autres exemples, comme le sang de vampire qui est impropre à la consommation dans Daybreakers, sous peine de transformer le buveur en "subsider", Dean Winchester qui réussit à vaincre le démon Eve, dans Supernatural, quand elle boit son sang parce qu'il a consommé les cendres de phoenix qui lui sont fatales, ou encore Entretien avec un Vampire, où les vampires peuvent mourir s'ils ingèrent le sang d'une personne morte. Tout sang n'est pas bon à boire et dans certaines des oeuvres que je viens de citer, le mauvais sang devient une arme mortelle et donc une faiblesse majeure des vampires. Les Vampires du Désert offre même un niveau de lecture qui compare le vampirisme au VIH, dans un film décrit comme un "in-denial coming out tale", ce qui est parfaitement logique quand on considère à quel point la communauté homsexuelle a été décimée par le sida dans les années 80. Etant donné le régime alimentaire des vampires, il n'est pas étonnant de voir que cette maladie transmissible par le sang et les rapports sexuels non protégés, longtemps stigmatisée comme exclusive à la communauté LGBTQ+ de surcroît, a fini par les contaminer eux aussi. Et on termine sur la bibliographie et la filmographie, qui sont tout à fait respectables, même si comme je l'ai déjà mentionné, elles auraient pu être plus complètes. En revanche, THE détail qui tue, pour moi: il n'y a pas de non fiction dans la liste. Donc en plus du Fantastique, de Denis Labbé et Gilbert Millet, je recommande aussi les ouvrages de Jean Marigny et Daniel Sangsue pour ceux à qui ça manquerait. Ma note 7/10. Violet Fenn couvre pas mal de terrains, mine de rien, et certaines pistes méritent qu'on s'y intéresse pour une bibliographie sur le sujet. Ceci dit, il y a un déséquilibre dans l'approfondissement des sujets et le manque d'appui sur de la recherche existante est à déplorer.
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